lundi 18 février 2008

3; Fiction Dégénérative


Les yeux étirés par la nuit, je suçote mon doigt taché de Bailey’s. Je brasse les cartes et lance une dame de pique dans l’œil du triste sire qu’est devenu ce reflet, mon frère. Les pigeons, dans leurs petites cages, sont tous attentifs à notre confrontation. Le joueur que j’ai devant moi est un tricheur; je le sais et il le sait. Attachés à son dos, plusieurs ballons verts flottent calmement dans l’air climatisé de la maison. Bientôt, il sera minuit. Il ricane et sa voix me fait penser au grincement d’une porte.

Je lui demande ce qu’il peut bien trouver de si drôle et il me répond que ce sont mes yeux. Un rictus amer lui traverse le front et il dépose son jeu sur la tapis céladon en me lorgnant avec vulgarité. Je dépose mon jeu en tremblant un peu, comme à chaque fois que j'en viens à gagner une partie de cartes contre lui.

Il se lève et passe le seuil de la porte avant de s’engouffrer dans la tempête blanche qui fait rage, dehors. N’ayant rien de plus constructif à faire, je retrempe mon doigt dans le verre d’alcool irlandais et décide de tracer un signe nazi sur la carte du Joker qui traîne près du cadavre de la souris, tuée plus tôt dans la journée. J’en profite pour lui caresser tendrement le crâne et l’amène jusqu’à mon nez pour en renifler le parfum.

À l’extérieur, je l’imagine se dirigeant vers sa grotte, sa pioche en main. Je tente de me souvenir de l’époque où il n’était encore qu’un enfant; où il avait encore ses rêves et ses illusions. Depuis la mort de notre mère, il a perdu son sens logique et a décidé de se lancer dans cette absurde quête de béryllium.

Les miaulements du chat me dérangent et, distraitement, je dépose la souris le sol. Je m’affale sur le poussiéreux sofa de notre demeure. En vain, j’en suis conscient, j’allume le téléviseur et visite les multiples chaînes qui me sont offertes. À un moment, je m’arrête devant l’image d’une bouche outrageusement barbouillée d’un rouge-à-lèvre noir. Les lèvres remuent et une voix froide et étrangement monocorde en glisse.

« Nous sommes les fracturés de la rature. Nous sommes les ratures de vos fractures. Les faits vous seront facturés et le désir nous sera greffé. Nous sommes les bouchers de l'avenir qui longent les mansardes de votre cerveau. Nous sommes le regard, aussi tranchant qu'une guillotine. Nous sommes les cigares qui se consument aux grés des vents trop rudes. Nous savons que nous sommes, mais nous savons aussi qu'il est inutile de le savoir. Nous savons voir, mais nous ne savons pas bien suivre la ligne qui relie votre présent et notre passé. Nous somme le glas, aussi hypnotisant qu'omnipotent. Nous voulons vivre et nous voulons mourir, avec langueur. Nous sommes lents, mais si prompt à la mégalomanie. Nous sommes les gants de latex de thanatologue et l'orgasme de l'enfant qui ne sait pas se retenir en public. Nous sommes la hache, bien aiguisée. Nous sommes l'implosion. Nous sommes le cadre auquel il manque la photo. Nous avons parcouru les terres de la conscience et avons chassé les cormorans des rangs honnis. Nous sommes les vers qui s'agitent sous votre épiderme et le remords de... »

Sans plus attendre, j’éteins l’écran. L’esprit encore embrouillé par cette masturbation intellectuelle, je me lève et me dirige mollement vers mon lit. Le sommeil vient rapidement et j’oublie.

...

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